Diplomatie: quand la fonction publique lance son réseau social
Le ministère des Affaires étrangères va faire franchir un cap à la modernisation de l’Etat, en ouvrant, en juillet 2014, le premier réseau social professionnel pour une administration.
Imaginez une administration de plusieurs milliers d’agents, répartis à travers le monde, qui n’utilisent (presque) plus de mails. Imaginez que cette administration traite chaque jour des centaines d’informations géopolitiques ou économiques ultrasensibles, grâce à un outil qui s’apparente à Google+.
En juillet 2014, il ne s’agira plus de fiction, car le ministère des Affaires étrangères aura alors ouvert son nouvel outil de communication, Diplomatie, véritable réseau social professionnel et premier du genre dans le monde. La version bêta de ce réseau a été ouverte le 2 janvier.
Un projet qui aura, ce n’est pas rien, reçu l’aval de deux premiers ministres, François Fillon d’abord, Jean-Marc Ayrault, ensuite.
« Vous ne diffusez plus une information en push, comme dans les mails, mais vous la postez. Et ceux qui sont intéressés par votre sujet viennent le chercher ». Le changement est majeur, pour une organisation qui, comme beaucoup d’autres a vu la place de la gestion des mails croître de façon exponentielle : « J’ai calculé qu’au ministère, le cadre intermédiaire, qui a 30 à 35 ans, passe 3 heures par jour, sur 7 heures, à ouvrir des mails ; pas à les traiter, mais à simplement les ouvrir ! C’est une perte d’efficacité totale. Pourquoi ? Parce que dans les mails qu’il reçoit, 1 % seulement est utile.
Trois principes :
- Le concept de boîte mail disparaît, au profit d’un écran conçu comme un journal, affichant, d’une part les sujets “à traiter”, d’autre part les sujets qui correspondent aux centres d’intérêt de chaque utilisateur. Il revient donc à chacun de sélectionner d’un clic ses centres d’intérêt, pour les faire apparaître dans son “journal”. Les autres messages ne polluent plus l’écran, mais peuvent être retrouvés sans difficulté, selon les besoins de l’utilisateur. Les informations importantes ne transitant plus que par Diplomatie, l’usage des boîtes mails devrait mécaniquement chuter.
- Toute information traitée est une action. Au lieu d’être envahi d’informations, le membre n’aura sur son écran uniquement les choses qu’on lui demande de faire. Il n’a donc plus 100 % de messages, mais 1 % qui seront classés en trois catégories : Télégramme, Note diplomatique, Courrier formel.
- Chaque utilisateur peut s’affilier à une communauté.
Le basculement d’une information “poussée” à une information postée et récupérée par des lecteurs intéressés introduit aussi une nouveauté dérangeante : la capacité de mesurer l’intérêt des messages postés par l’audience qu’ils ont reçu. Une fonctionnalité inconcevable via les listes de discussions ou les mails, et qui ne laisse pas de perturber.
Du coup, le réseau social Diplomatie se confronte au risque de la mesure d’audience, et de la dérive vers les sujets “faciles” ou payants en terme de lectures. De fait, les “petites” ambassades apparaissent d’emblée défavorisées face aux mastodontes qui concentrent l’essentiel de l’activité diplomatique mondiale : Washington, Moyen-Orient, Pékin…
Mais ce nouveau paradigme suscite déjà des ripostes vertueuses, comme celle des ambassadeurs des Balkans qui envisagent de créer une communauté regroupée pour concentrer leurs informations.
Conjonction de circonstances favorables – Diplomatie aura bénéficié d’une conjonction de circonstances qui, finalement, l’ont rendu possible, au premier rang desquelles les choix des derniers gouvernements (droite et gauche) d’accomplir la modernisation de l’Etat notamment par les outils numériques. « Il se trouve que le numérique est considéré comme un fort levier de modernisation de l’action publique ».
Dernier objectif de ce projet et pas des moindres : Casser les verticalités. Pour un projet tel que Diplomatie, « revoir les méthodes de travail » et « ajuster les choix de management » signifie en premier lieu décloisonner : décloisonner les directions du ministère des Affaires étrangères, très verticalisées du fait de la LOLF, et surtout décloisonner avec les autres ministères. Une ambition sur laquelle beaucoup se sont cassés les dents, a fortiori s’agissant de l’implantation d’un outil informatique, tant les administrations sont étanches.